Les couples d’artistes à travers l’histoire de l’art

Ces dernières années de nombreuses expositions ont mis à l’honneur les couples d’artistes modernes et contemporains. Loin du sensationnel auquel pourrait se prêter le sujet, elles renouvellent le regard porté sur leurs créations et démarches artistiques respectives. En 2018, le musée national des beaux-arts du Québec proposait un dialogue inédit entre les tableaux de Joan Mitchell et Jean Riopelle dans Mitchell/Riopelle. Un couple dans la démesure. La même année le Centre Pompidou Metz présentait Couples Modernes, une exposition proposant une “relecture de la modernité à travers le prisme du tandem amoureux.”1 À cette occasion a été publié le Dictionnaire des couples d’artistes de la première moitié du XXème siècle, répertoriant plus de 200 couples d’artistes polymorphes. Loin de donner une définition univoque du couple d’artiste, il s’agissait davantage de montrer comment cette entité “organique” et “protéiforme” pouvait constituer une “zone fertile d’échange, de confrontation et d’influence” d’où émergent des pratiques artistiques singulières, renouvelées et réinventées.2

 

Frida Kahlo et Diego Rivera, Dora Maar et Picasso, Anni et Joseph Albers, Ana Mendieta et Carl André… Les couples d’artistes ayant marqué l’histoire de l’art sont nombreux et les rapports qu’ils entretiennent d’un point de vue artistique variés. Entre effacement de soi et absorption de l’autre, esthétique partagée et rivalité artistique, les œuvres qu’ils produisent s’articulent autour du rapport à l’autre et des jeux d’influences qu’il implique.

 

Les collaborations fertiles au sein des couples d’artistes ont été nombreuses. Si parfois les pratiques fusionnent pour constituer des duos à l’instar de Anne et Patrick Poirier, elles peuvent aussi se juxtaposer ponctuellement, au sein d’œuvres et de projets réalisés à quatre mains. L’une sculptrice et l’autre architecte, Marta Pan et André Wogenscky construisent leurs travaux respectifs à travers le regard et la validation de l’autre. “Toute l’œuvre, la mienne, la sienne a été faite en discussion. Il connaissait tous mes projets et je connaissais tous les siens,” confie Marta Pan.3 Leurs pratiques s’entremêlent et dialoguent sans cesse, chacune se nourrissant de l’autre pour constituer ce que François Barré nomme une “œuvre croisée,” se matérialisant notamment au sein de leur maison à Saint Rémy-lès-Chevreuses où cohabitent l’architecture d’André et la sculpture de Marta.

 

Deux identités artistiques fortes et affirmées peinent parfois à coexister. Le sentiment de rivalité et le besoin de confrontation peuvent s’immiscer au sein du couple d’artistes, le déchirant jusqu’à la rupture. Passant de l’admiration à la confrontation, la relation tumultueuse de Joan Mitchell et Jean-Paul Riopelle, a transformé et renouvelé la peinture de ces deux chantres de l’expressionnisme abstrait. Malgré leurs efforts d’émancipation et de dissociation, les résonances et connivences subsistent et se multiplient au sein de leurs œuvres, à l’instar des deux triptyques réalisés en 1964, Girolata Triptych et Large Tryptich, témoignant de “véhémences partagées” dans le format et leur intentions.4 Elles traduisent des jeux d’influences intriqués, inhérents à la cohabitation de deux œuvres sous le même toit. Ces dernières se nourrissent mutuellement, “s’inventent, se réinventent et s’imposent par leurs propres originalités,” à travers le rapport à l’autre, en résonance ou en opposition à sa pratique.5 Selon Alain Vircondelet, l’alliance que constitue le couple est le terreau sur lequel se fonde l’acte créatif, donnant naissance à des formes, des œuvres, des concepts, des mouvements et des pratiques singulières. C’est au cœur de cette cellule organique qu’émergent entre autres, l’orphisme de Sonia et Robert Delaunay, le rayonnisme de Larionov et Gontcharova ou encore la pratique du photomontage dada avec Raoul Hausmann et Hannah Höch.

 

La cohabitation de deux pratiques artistiques donne lieu à un dialogue fécond, animé par des connivences et divergences nourrissant continuellement l’œuvre des artistes. C’est ce dialogue, souvent latent, que l’exposition La vie est un entre-deux, présentée à la Fondation Francès (Senlis) à partir du 18 septembre 2021, souhaite rendre manifeste. Invitant le couple d’artistes formé par Isabelle Cavalleri et Jörg Langhans à mettre en regard leurs travaux respectifs, elle ouvre un espace d’échange où inspirations communes, ambitions mutuelles et pratiques autonomes se révèlent et s’entremêlent.

 

Découvrez l’exposition La vie est un entre-deux, à la Fondation Francès, 27 rue Saint Pierre, Senlis, du mercredi au samedi de 11h à 19h, visite libre et commentée.

 

 

1 Dossier de presse de l’exposition Couples modernes.

2 Ibid.

3 François, Barré, L’œuvre croisée : André Wogenscky-Marta Pan, (Paris: Cercle d’art, 2007).

4 Yves Michaud in Mitchell, Riopelle : un couple dans la démesure, (Milan: 5 Continents éditions, 2017).

5 Alain Vircondelet, Les couples mythiques de l’art, (Issy-les-Moulineaux: Beaux Arts ed., 2011).

 

Visuel : Isabelle Cavalleri et Jörg Langhans, exposition “La vie est un entre-deux” à la Fondation d’entreprise Francès, jusqu’au 27 novembre 2021 © Fondation Francès