Les ambivalences de Jean-Luc Verna

Un dessin récent de Jean-Luc Verna rejoint la collection Francès en 2021.

 

Parmi les motifs que l’artiste décline et digresse, nous retrouvons la figure du clown, qui revient régulièrement dans ses dessins. Justement, l’œuvre graphique “Cunt” est un curieux portrait d’enfant qui disparaît sous d’autres traits, ceux des attributs du clown ou du “joker”. Cette image contient une certaine étrangeté, une dimension à la fois inquiétante et amusante. En s’inspirant de ce personnage issu de l’univers du cirque et incontournable de la culture populaire, “Cunt” témoigne de l’intérêt de l’artiste pour les choses désuètes, des sujets ou des iconographies “usés” auxquels il prête une multitude de représentations et d’interprétations comme autant de manières de les exhumer pour en retirer toujours plus de choses à dire.

La nature double de ce dessin lui confère une certaine ambivalence, qui s’incarne également dans le processus même de création de Jean-Luc Verna. C’est un processus de transformation qui s’opère par transfert, où il passe du dessin, au calque du dessin, à la reproduction, puis aux rehauts et au maquillage. Tout comme son propre corps qu’il maquille et tatoue, il considère le dessin comme un “territoire de correction”. En effet, en étant réutilisé et retravaillé le dessin initial est alors corrigé, produisant ainsi des images à plusieurs couches dans lesquelles la réinterprétation est essentielle. L’œuvre finale est imprégnée de ses versions antérieures et porte les traces de différentes temporalités et spontanéités, faisant d’elle une sorte de palimpseste visuel ambigu où la perte et le souvenir se mêlent pour former une nouvelle apparition.

 

Le caractère ambivalent de cette œuvre se retrouve également dans sa dimension tragi-comique. L’apparence classique de ce portrait d’enfant est détournée, car ce dernier a le front auréolé de l’insulte vulgaire “cunt” – qui peut-être traduit en français par “con” -, suggérant une intervention qui viendrait “gribouiller” ce visage, évoquant ainsi l’effet d’une moquerie ou une forme d’humour noir, peut-être révélatrices d’une blessure intime. Si le rôle du clown est de susciter le rire, les yeux embués de larmes de l’enfant trahissent un certain malaise et accentuent le sentiment ambigu inhérent à l’œuvre.

En étant rehaussé de fard, ce dessin rappelle l’attrait de Jean-Luc Verna pour le maquillage, supposant une lecture presque autobiographique. De plus, le clown, ce personnage qui peut être considéré à la fois comme divertissant ou terrifiant, nous renvoie d’une certaine façon à notre condition humaine, à l’étrangeté et aux absurdités de l’existence, et Jean-Luc Verna voit dans cette figure une humanité : “c’est moi, c’est nous… On est tous un peu des Freaks!”[1]. Ce miroir ainsi tendu vers le spectateur installe une complicité avec l’œuvre, qui se confirme avec l’utilisation du petit format favorisant le face à face personnel et individuel. L’artiste utilise volontairement ce type de format pour ses dessins car il relève de l’intimité du regard.

 

De par sa réalisation et ses ambivalences, “Cunt” est une œuvre singulière dont on ne peut donner une unique interprétation, justement car l’artiste propose plusieurs entrées, plusieurs lectures, qui se révèlent lors d’un contact approfondi et personnel avec l’œuvre.

 

[1] Entretien de Jean-Luc Verna : Clémentine D. Calcutta, “Jean-Luc Verna – À ton étoile!”, dans  Boum! Bang!,[En ligne], https://www.boumbang.com/jean-luc-verna/