Fatemeh Baigmoradi “It’s Hard to Kill”

“It’s hard to kill history. The beliefs and thought of other people, no matter how obscured can never be erased” [C’est difficile de tuer l’histoire. Les croyances et les pensées d’autres personnes, aussi obscures soient-elles, ne peuvent jamais être effacées.]

Fatemeh Baigmoradi

 

La série “It’s Hard to Kill” de Fatemeh Baigmoradi regroupe un ensemble de photographies calcinées, brûlées par l’artiste. Initiée en 2017, la série explore la survivance de la mémoire par-delà la détérioration voire la destruction des images qui la conservent.

It’s Hard to Kill découle d’un constat devenu obsession : l’absence d’images de ses parents avant la Révolution Islamique en Iran. Le père de l’artiste était membre du parti du Front National iranien. Quelque temps après la Révolution, il décide de brûler une grande partie des photographies qui témoignaient de son rattachement à un groupe politique spécifique. Il n’est pas le seul, nombreux sont ceux qui procèderont à cette forme d’autocensure afin d’éviter tout risque d’arrestation par le pouvoir en place. La photographie souvenir devient dangereuse, elle est une preuve incriminante qu’il faut à tout prix effacer, détruire. Beaucoup d’images ont ainsi laissé des espaces vides dans les albums de famille, fragilisant voir effaçant par prolongement la mémoire qu’elles portaient.

Pour l’artiste, leur absence est beaucoup plus parlante et expressive que les photographies encore présentes. Les images manquantes sont bruyantes, elles crient leur propre disparition et interrogent la persistance des souvenirs et de l’histoire qu’elles avaient enregistrés.

Ce n’est qu’en 2016 que l’artiste prend connaissance de cette pratique d’autocensure de ses parents. Fascinée par le geste à la fois violent, destructeur et presque rituel de son père, elle décide de le mimer, de le reproduire sur des photographies de familles d’autres personnes. Elle va récolter des images, les scanner puis les imprimer sur des supports similaires aux originaux. À l’aide d’une bougie, elle brûle partiellement les tirages, principalement les corps et les visages, calcinant quelque fois l’intégralité du tirage. It’s Hard to kill regroupe ainsi des photographies brûlées, à l’image des œuvres présentes dans la collection Francès, des pots scellés conservant les cendre des tirages entièrement détruits et deux vidéos mettant en scène le geste même de l’artiste. La pratique de l’artiste investit la notion de pouvoir des images, révélant par leur altération, l’étendue de leur champ d’action dans le réel.

La destruction donne aux photographies une nouvelle signification, une nouvelle forme visuelle que l’artiste compare aux miniatures perses. Les peintres perses ne représentaient pas les visages des personnes saintes, à la place, ils les encerclaient d’un halo lumineux, quelques fois de flammes masquant une partie de leur tête. Les photographies brûlées de Fatemeh Baigmoradi leur font formellement écho, enveloppées elles aussi d’une aura sacrée. Traces, restes d’expériences vécues, elles deviennent les reliques d’une mémoire à la fois intime et collective résistant à l’effacement.

Loin de disparaître, la mémoire semble changer de forme. Dans les œuvres de Fatemeh Baigmoradi, elle s’ouvre au public. Partagée, collective elle invite chacun à projeter ses histoires dans l’espace laissé vacant par l’artiste. Au-delà de la violence du geste, It’s Hard to Kill explore l’entêtement et la persistance de la mémoire, soulignant, comme l’indique le titre de la série, la difficulté même de la tuer et de l’effacer.

 

Les œuvres présentes dans la collection Francès sont actuellement présentées à la Fondation, au sein de l’exposition Hors d’œuvres n°1 jusqu’au 11 mars 2023.

 

Crédits : Vues des œuvres de Fatemeh Baigmoradi issues de la série It’s Hard to Kill, au sein de l’exposition Hors d’oeuvres n°1, à la Fondation Francès.